Dr. Feelgood
Lee Brilleaux - Rock & Folk (1976)

Propos recueillis par Philippe Manoeuvre © Rock & Folk

Quand je suis entré dans les bureaux d’United Artists France, le reporter de "Best" était en train de terminer une interview de routine avec Lee Brilleaux. Tous les ans à la même époque, il semble bien que nous soyons destinés à croiser le micro avec le chanteur et harmoniciste de ce groupe qui a un ouragan en poupe et qui s’appelle Doctor Feelgood. Pour Ma part, j’avais un plan d’acier trempé pour dynamiter la structure bien traditionnelle de l’interview de Feelgood. De toute évidence, nos lecteurs se souviennent encore de l’histoire (récente) des débuts du groupe, et je n’avais aucun désir de réévoquer la trajectoire météorique des petits gars de Canvey Island. Lee acquiesça immédiatement, et, de son accent à couper au couteau, il me demanda : "Okay, man, alors, que-est-ce qu’on fait ?" Ca ne m’a pas pris au dépourvu : dans mon sac, j’avais une pile de 45 tours, tous sortis sur le marché français depuis peu, tous représentatifs du Rock de 76. Le but ? Demander l’opinion de Doctor Feelgood sur la concurrence, redécouvrir les joies et les plaisirs de cette institution oubliée par la presse Rock, le "blindfold test". Lee accepta immédiatement, non sans une hésitation ironique ("Ce ne sont pas des disques français, tout de même ?") Puis, en vrai rocker, il se carra dans son siège, avala une impressionnante rasade de Kronenbourg alluma deux Rothmans, m’en tendit une, et…

Eddie And The Hot Rods : "96 Tears" (Island)


Ouais, je suppose que, pour rester dans les règles, je ne dois pas regarder et tenter de deviner… Ah, je reconnais ! C’est Eddie et les Hot Rods, en train de jouer une vieille chanson de Question Mark And The Mysterians au Marquee Club. Mouais. Je préfère la version originale. Voilà. C’est tout.

On présente les Hot Rods comme le "nouveau Doctor Feelgood"…
Je connais ces types depuis belle lurette. Ils habitaient à deux rues de chez moi, à Canvey, et nous avions même monté un groupe avec leur guitariste. C’était autrefois. Aujourd’hui, ils ont l’air de bien s’en tirer. Tout ce que j’ai à dire, c’est "Bonne chance, les mecs". Point final.

J. Geils Band : "Where Did Our Love Go" (Atlantic-Wea)


Super ! Le J. Geil Band ! Je les adore ! Il y a environ trois ans, ils sont venus jouer à Londres. Tous les membres de Doctor Feelgood ont fait le voyage pour aller les voir, et ils nous ont littéralement cassé le cerveau. Dites-vous bien que nous jouons la même musique. La seule différence, c’est de notre nationalité qu’elle provient. Ils sont Américains, plus policés, plus réservés… Ah, quand j’ai découvert leur premier album, je me souviens avoir couru chez Wilko, il n’en est pas revenu ! Au fait… Quel est ce disque ? Un nouveau simple ? Je ne le connaissais pas… Je peux le garder, vraiment ? Ouaahh ! Tu es un frère !

Bob Marley : "No Woman, No Cry" (Island)


Bob Marley, hein? Live au Lyceum… J’aime le Reggae. Mais j’ai comme l’impression que les gens ont tendance à perdre le sens des mesures. Car la Reggae a un petit peu commencé comme le Blues. Une musique ethnique, okay ? Simple, naïve, sans prétention, et il faut l’avouer, géniale. Seulement maintenant il y a tout ce fatras politique et mystique que la presse monte en épingle. Bob Marley n’est pas un clochard de Trench Town. C’est n rusé, un malin. Je préfère Toots. Toots, lui, ne sait pas ce que c’est que le Reggae. Il se contente d’en faire.

Alors, est-ce que Doctor Feelgood va enregistrer un Reggae ?
Pour sûr ! Et ça va s’intituler "Rats Head Soup" ! Ah ! Ah !

The Ramones : "Blitzkrieg Bop" (Philips)


(Long silence-reniflement de Lee) Pour être vraiment honnête, je n’aime pas du tout. Jamais je ne pourrai acheter un truc pareil. Tiens, ces types passaient avant nous à New York, au Bottom Line. Ils m’ont semblé un rien trop nerveux, gênés. J’ai eu l’impression d’avoir affaire à quatre intellectuels qui jouaient aux petits punks. Enlève le disque, s’il te plait.

Al Green : "Full Of Fire" (Decca London)


Wow ! Al Green ! Voilà un type dont j’achète tous les albums, dès qu’ils sortent. Ecoute-moi cette batterie ! Al est un génie, le batteur est un génie, le producteur est un génie. Mais écoute-moi ça ! Ils n’essayent même pas, c’est naturel ! C’est beau. D’accord, je n’écouterai pas ça tout la journée mais quand il ne te reste qu’un dernier verre, qu’une dernière cigarette, c’est sur Al Green qu’il faut te brancher.

Patti Smith : "My Generation" (Artista-Pathe)


Qui c’est? Hein ? Patti Smith ? Jamais entendu avant ce jour ! Mais… Qu’est-ce que ça fout là, "My Generation”?! De quelle génération parle-t-elle, au fait ? Non, c’est invraisemblable, surtout qu’on trouve encore la version des Who partout, et qu’eux, au moins, ils savaient de quoi ils parlaient. Tu vois, ce truc, ce que fait Patti Smith, c’est trop intellectuel, trop poétique. C’est ça, l’ennui, avec le Rock en ce moment. Des gens comme Patti Smith sont en train d’en faire de l’Art. Mais l’Art et le Rock, ça n’a rien à voir ! Elle tombe dans la prétention, cette nana ! Heu… Désolé, Patti, je ne voulais pas être méchant !

Dave Edmunds : "Weekend" (Swan Song-Wea)


Dave Edmunds avec Nick Lowe! Je ne peux pas dire grand chose de plus, car ce sont des potes à moi, okay ? N’empêche que c’est un super disque. Hier, Dave m’a fait écouter ma bande de son 30, qui va sortir sur Swan Song. Et c’est monstrueux : il fait une version de "Get Out Of Denver" qui va rendre celle des Hot Rods un tantinet ridicule.

The Runaways : "Cherry Bomb" (Philips)


Américaines ? Un groupe de Los Angeles ? Produit par Kim Fowley ? Les Runawyas ! C’est drôlement bien ! Quelle assise ! D’un autre coté, Kim Fowley est une espèce de sorcier des studios, et pour savoir ce qu’on lui doit réellement, il faudrait voir ces filles sur une scène. Il y a une quinzaine de jours, nous nous sommes retrouvés dans le même hôtel qu’elles, au hasard d’une tournée. Elles flippaient gentiment à l’idée d’être en Angleterre, tout ça. Mais elles ne se considéraient absolument pas comme un gimmick, et toute la conversation a consisté en détails techniques, comparaison des monitors et des sonos, bref, pas plus drôle qu’avec n’importe quel musicien de Rock mâle. Tout de même, pourquoi ces nanas veulent-elles taper sur une batterie ?

Rolling Stones : "Fool To Cry" (Wea)


Qu’est-ce qu’on peut encore raconteur sur eux ? Qu’il fut un temps où je les adorais ? Qu’ils ont m’ont branché sur le Blues ? Clichés, clichés… Surtout qu’aujourd’hui, je trouve certaines de leurs chansons horribles. Surtout quand ils font ces ballades mièvres, ce qu’ils m’emmerdent ! D’accord, si j’avais la gueule de Mick Jagger, si ma femme s’appelait Bianca, si ma banque regorgeait de pognon… En ferais-je autant ? En attendant, je suis dans un groupe de Rock’n’Roll, qui n’a aucune intention de tomber dans ce genre de travers. Nous n’avons jamais enregistré une ballade.

Flamin’ Groovies : "Let The Boy Rock’n’Roll" (Philips)


(Brilleaux chante en chœur, il s’amuse ferme) Tiens, j’avais la version des Lovin’ Spoonful, qui est la meilleure. Cherche-la, tu verras ! Celle-ci n’est pas mauvaise, mais j’aime surtout les Groovies pour ce qu’ils firent dans le passé. Et ce qu’ils essaient de faire maintenant heu… Je trouve ça un peu honteux. Ah, ça doit être dur à vivre à San Francisco en jouant du bon Rock. Ce qui ne veut pas dire que ce simple soit mauvais. Il est juste à cent coudées en dessous de "Married Woman".

Doctor Feelgood : "Johnny B. Goode" (simple U.A. glissé dans les 20.000 premiers exemplaires anglais de "Stupidity")
Tout le monde nous avait prévenus ; vous voulez sortir un album live en ce moment ? Mais c’est du suicide ! Nous avons appelé le disque "Stypidity". Nous avions cette version de "Johnny B. Goode", que je considère comme l’une des meilleures jamais enregistrées. On nous a dit : "Ne la mettez pas sur le disque! Ca a été fait à mort par tout le monde ! C’est usé !" Honnêtement, j’ai mis ce simple dans le juke-box de mon pub favori, c’est un hit. Quand les Américains ont entendu "Stupidity", ils nous ont envoyé télex sur télex: "Arrivez immédiatement ! Nous allons faire de vous des stars !" Incroyable! Alors pour conquérir l’Amérique, il aurait fallu plaquer l’Europe, abandonner notre tournée ? Ne pas venir jouer à Paris ? Ecoute, vous autres Français, vous êtes déments. Vous êtes les seuls à avoir tout de suite accroché notre musique, au premier coup. Ca ne s’oublie pas facilement. L’Amérique viendra plus tard, comme les autres.

Quand je suis sorti des bureaux United Artists France, le reporter de "Libération" arrivait.

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