Dr. Feelgood
Kevin Morris - Radio Rock (Juin 1997)

Propos recueillis par Fred Signal © Radio Rock

Soirée mémorable que celle qui se déroulait au 287 Rock'n'Roll Café en cette fin juin 1997. Avant de monter sur scène, Kevin Morris (batterie) et Peter Gage (chant) ont accordé à Radio Rock une interview fleuve dont voici l'essentiel. Ressourcez-vous !

Bien que tu ne sois dans le groupe "que"depuis 15 ans, peux-tu nous parler de Chris Fenwick, manager historique de Dr Feelgood ? Je me suis laissé dire qu'au départ il était musicien...
Kevin Morris : Chris n'a jamais réellement joué d'un quelconque instrument. Avant qu'il ne soit un groupe au sens conventionnel du terme, Dr Feelgood a d'abord été un orchestre de joueurs de cruches et Chris en jouait vraiment mal, alors les autres lui ont dit : "Ecoute Chris, laisse tomber la cruche, prend un chapeau et va faire la quête...". En fait, au début, Dr Feelgood n'était pas un groupe, mais plutôt une bande de types qui tournaient ensemble, s'amusaient ensemble, se bagarraient ensemble... Par la suite et au fur et à mesure, ils devinrent de vrais musiciens et formèrent un vrai groupe...

En dépit de tous les changements de line up, Dr Feelgood existe encore aujourd'hui en 1997. Peut-on dire que Dr Feelgood est indestructible ?
Kevin Morris : On aime à penser que ce qui est primordial est l'attitude du groupe, cette volonté de continuer coûte que coûte, malgré tous les changements de personnels qui ont émaillé l'existence de Dr Feelgood. Je pense notamment aux lead guitaristes qui s'y sont succédés. En général, le départ du guitariste traumatise un groupe. L'énergie et surtout le style s'en ressentent et c'est parfois fatal. Par exemple le premier guitariste, Wilko Johnson, écrivait beaucoup de chansons, il était quasiment l'axe central du groupe. Quand il est parti, Gypie Mayo est arrivé avec un style sensiblement différent. Gypie est un guitariste plus fluide qui peut aborder plusieurs genres : Flamenco, Blues, Jazz... Sa venue a apporté un élargissement musical, même si Dr Feelgood est resté un groupe de Rock, Blues Rock et Rythm’n’Blues. Le son s'est diversifié, alors qu'avec Wilko il était plus uniforme et plus immédiatement identifiable. Wilko aurait pu jouer avec d'autres groupes, on aurait immédiatement reconnu son jeu de guitare. Il imposait sa façon de jouer alors que Gypie s'adaptait, il était plus souple.

A t-il beaucoup composé pour le groupe ?
Kevin Morris : Oui. Avant, à part Wilko, personne n'écrivait dans le groupe. Ce que faisait Wilko était très focalisé sur son jeu de guitare et les chansons se ressemblaient. Gypie avait une approche différente : il trouvait un riff et les autres se mettaient à broder autour jusqu'à ce que le morceau soit construit. En général, Nick Lowe apportait les paroles.

Peut-on considérer Dr Feelgood comme une sorte de conservatoire du Rock anglais, comme John Mayall et les Bluesbreakers le sont pour le Blues ?
Kevin Morris : Je pense que c'est la même attitude. Quand un musicien quitte John Mayall, il continue avec un autre, et ce n'est pas un problème. On a joué avec eux il y a 2 ans dans un festival au Danemark, et on a pu constater qu'ils sont toujours aussi bons. En fait, on suit la même politique : un musicien s'en va et un autre prend sa place. C'est la même chose chez Fairport Convention qui eux font du Folk Rock. Les gens arrivent, s'en vont et parfois reviennent et ça dure comme ça depuis des années.

Il y a quelque temps, Gordon Russel, votre précédent guitariste, nous disait qu'il était moins technique que Johnny Guitar et Gypie Mayo, mais qu'il compensait par son énergie. L'énergie, c'est le maître mot pour Dr Feelgood ?
Kevin Morris : Oui, particulièrement pour le guitariste qui doit assurer à la fois la rythmique et les solos, mais Gordon Russel se sous-estime, c'est un excellent guitariste. De plus sur le plan humain, c'est quelqu'un de très attachant, de très sympa.

Comment avez-vous recruté Steve Walwyn, votre dernier guitariste ?
Kevin Morris : Steve jouait depuis de nombreuses années dans un groupe appelé les Details, basé dans les Midlands. Depuis longtemps j'étais un de leur fan. Ils avaient accompagné Steve Marriot, bref ils étaient bons et particulièrement Steve dont j'appréciais beaucoup le style. Steve quitta ce groupe pour une raison bien triste : son enfant venait de mourir et sa femme étant française, il décida de quitter l'Angleterre pour venir vivre en France. Par la suite, étant à la recherche d'un guitariste, nous le retrouvâmes et sûmes le persuader de rejoindre Dr Feelgood. On finit toujours par rejoindre Dr Feelgood... (rires) Moi-même j'ai fini par jouer dans le groupe, mais, en ce qui me concerne, ce n'est pas tout à fait un hasard, car j'ai été à l'école avec Lee Brilleaux et Phil Mitchell, l'actuel bassiste. Avant qu'il ne devienne Dr Feelgood, nous avons joué, John Spark, Lee Brilleaux et moi, dans un groupe qui s'appelait Big Boy Charlie Bad and The Wild Bunch. Ensuite je suis parti dans un groupe professionnel avec lequel j'ai pas mal voyagé. 2 ans plus tard, j'ai retrouvé un groupe solide qui avait mûri, dont le guitariste s'appelait Wilko Johnson. Je leur ai dit : "Hey les gars, que s'est-il passé ?". C'était incroyable, en peu de temps, il avait acquis un professionnalisme impressionnant et conquis un large public. Par la suite, Dr Feelgood a eu la carrière que l'on connaît. Durant toutes ces années, j'avais gardé le contact avec eux et bien plus tard quand Big Figure, qui était le membre le plus âgé du groupe, a décidé de raccrocher, j'ai naturellement pris sa place. A cette époque, Big Figure en avait marre des tournées incessantes, de ne jamais être chez lui, il voulait se poser, profiter de sa famille, aller voir son fils jouer au football... Il a dit au reste du groupe : "Ecoutez les gars, je vous aime, mais assez c'est assez". Quant à moi, j'étais disponible à ce moment-là. Je travaillais dans un studio d'enregistrement à Londres, ce qui n'est vraiment pas mon passe-temps favori. J'adore voyager et ça faisait deux ans que j'étais scotché à ce foutu studio. Ils m'ont dit : "Tu veux retourner sur la route ?" et j'ai répondu : "Oui".

Quand Lee Brilleaux est mort, en dépit de tout ce qui a été dit sur la pérennité du groupe, avez-vous évoqué la possibilité d'arrêter définitivement Dr Feelgood ?
Kevin Morris : Oui, absolument. La mort de Lee nous a tous anéantis. Je me rappelle parfaitement cette période qui a précédé son décès. On venait de faire une tournée de quelques mois et on était heureux de se retrouver en studio avec des gens de confiance, des techniciens, des ingénieurs qu'on connaissait bien. On se produisait nous-mêmes, on se sentait vraiment à l'aise. Malheureusement, Lee n'allait pas bien, il était très fatigué. Depuis plusieurs mois sur la tournée, on avait constaté qu'il était malade. Son visage avait une vilaine couleur rouge due à un excès de tension. On lui a dit : "Lee, tu es malade, il faut que tu ailles voir un médecin". Ce qu'il fit d'ailleurs, mais après quelques examens, on lui apprit qu'il avait le cancer et il alla à l'hôpital pour subir des séances de chimiothérapie très éprouvantes qui eurent pour premier effet de l'affaiblir encore plus. Par la suite, lentement, il reprit un peu de forces et put participer à deux concerts destinés à être enregistrés, mais après le deuxième show, il se remit à décliner rapidement et on lui conseilla très vite de retourner à l'hôpital mais il s'y refusa. Il voulait tout simplement rentrer chez lui pour mourir. Quand il fut décédé, nous eûmes le sentiment que Dr Feelgood était détruit. Nous ne pouvions envisager de continuer sans Lee qui était à la fois le frontman, la voix et l'âme du groupe. Nous ne fîmes rien pendant deux ans, et puis, peu à peu, vinrent à nos oreilles des informations concernant Dr Feelgood, notamment aux USA où des groupes donnaient des concerts hommage, des fans clubs avaient été créés, des promoteurs se manifestaient, etc. Et là, je me suis dit : "C’est stupide, cherchons un chanteur et relançons la machine". Ce qui fut fait avec la venue de Peter. La première fois qu'il vint nous voir, on n'en crut pas nos yeux ni nos oreilles : "Bon sang, mais c'est un vrai Dr Feelgood !". La voix, l'allure, tout y était. On lui dit : "Ecoute, on va y aller doucement, on va commencer par faire deux concerts pour voir ce que cela donne". En fait, tout se passa bien et par la suite, nous nous rendîmes en Finlande, et là, on eut la certitude que c'était vraiment reparti. Depuis, back on the road !

Peter, ta voix ressemble vraiment à celle de Lee. Es-tu sous influence ou est-ce complètement naturel ?
Peter Gage : En fait, initialement, j'ai surtout été influencé par les chanteurs noirs : Ray Charles, Muddy Waters, Howlin Wolf, etc. J'aime le son profondément sombre, le côté éraillé, dur de ces voix. Dans mes débuts, je m'efforçais de cultiver cet aspect de ma voix, mais aujourd'hui, je ne le fais plus. Je crois que Lee Brilleaux avait les mêmes influences que moi et comme moi, il venait de la banlieue de Londres, il avait écouté les mêmes chanteurs. Il y a similitude de background musical et de milieu socio-culturel. Ce n'est donc pas étonnant si ma façon de chanter, de me tenir sur scène, le style... évoquent Lee Brilleaux. Cela dit, je ne l'ai jamais rencontré.

Après deux ans de silence discographique, vous avez enregistré cet album intitulé "On the Road Again". Comment s'est passé ce retour à la création en studio ?
Kevin Morris : La première chose qu'on voulait faire en réalisant ce disque était de démontrer que le groupe continuait. On n'avait pas de direction vraiment définie pour cet album. C'était un album de remise en route, comme son nom l'indique. Donc, le choix des morceaux, sans être complètement secondaire, n'était pas absolument crucial. On y trouve à la fois nos compositions et quelques reprises de gens qu'on aime bien. L'un des points essentiels était de présenter Peter au public. Par exemple, le titre de Peter Green, "World Keeps Turning", est un morceau parfait pour mettre en valeur sa voix. Il n'y a que la guitare et la voix, et l'auditeur peut saisir à la fois ce qui les rapproche et les différencie. Maintenant, il est vrai que cet album part un peu dans tous les sens. On y trouve du Blues, du Rock... Ce n'était pas facile après une longue période de relâche de synthétiser nos idées. Je pense que le prochain album sera plus homogène.

Ce titre, "On the Road Again", est-ce une sorte d'hommage à Canned Heat ?
Kevin Morris : Oui, ce sont de très bons amis à nous. Nous avons beaucoup tourné ensemble, notamment en Allemagne. C'est un très bon package, Dr Feelgood et Canned Heat. Il y a des soirs où les deux groupes se tiraient la bourre, chacun rivalisant d'énergie et de puissance. C'est extraordinaire la complémentarité et l'entente qui règne entre-nous, sans parler de l'ambiance sur la route, ou après les concerts... Tu vois l'ambiance !

Le live album est une sorte d'hommage, de dernier au-revoir à Lee Brilleaux...
Kevin Morris : C'est étrange, c'est comme si Lee avait décidé de mourir après la réalisation de cet album. Il était très faible et il était prévu qu'il fasse les shows assis sur une chaise ou un tabouret, mais en fait, il resta debout pour chanter. En outre, par le passé, il me laissait le soin d'établir la liste des chansons que l'on devait jouer, mais pour le dernier concert, il choisit lui-même les titres. Il me dit : "Kevin, je souhaiterais chanter ‘Wolfman Calling’ et ‘Roadrunner’ de Junior Walker". Il avait donc sa propre liste en tête.

En mai, vous avez sorti un double CD intitulé "25 ans de Dr Feelgood". Est-ce plus un résumé de l'histoire du groupe qu'une compilation ou un best of ?
Kevin Morris : L'année dernière, EMI a sorti en Angleterre un coffret regroupant 5 CD de Dr Feelgood, le tout étant intitulé "Looking Back" et comprenant pas moins de 120 titres. L'objet vaut 40 livres, ce qui reste quand même relativement cher et le destine aux fans purs et durs du groupe. Parallèlement, un livre a été publié retraçant l'histoire de Dr Feelgood et nous avons pensé qu'il serait judicieux de sortir quelque chose d'un peu moins onéreux et d'un peu plus sélectif pour illustrer musicalement cette histoire. C'est pourquoi nous avons décidé de mettre sur le marché ce double CD de 40 titres dont le prix, 15 livres environ, est plus abordable. C'est une façon d'atteindre un public plus large.

Que diriez-vous au public français aujourd'hui ?
Kevin Morris : Je crois que le public français est très fondamentaliste et je comprends qu'il puisse nourrir une certaine méfiance vis à vis d'un groupe qui a perdu son dernier leader historique. Moi-même je ne pouvais m'imaginer Dr Feelgood sans Lee Brilleaux, mais aujourd'hui, j'ai franchi cet obstacle affectif, cette barrière psychologique qui a failli nous faire tous abandonner et j'invite le public à faire de même. Avant de juger ou de préjuger, venez nous voir sur scène et écoutez. Je pense que, comme moi, vous vous rendrez à l'évidence : Dr Feelgood est toujours vivant !

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